L. Ron Hubbard, Mon Oncle et Moi...
Les Belles Histoires de Onc' Marco le Myasthénique
— Onc’ Marco, raconte-nous une histoire ! dit le jeune Antoine aux yeux hallucinés.
— Une histoire, pourquoi pas, mais laquelle ? répondis-je, regrettant encore de l’avoir habitué à me demander de lui raconter des histoires.
— Raconte-nous quelque chose sur l'une des célébrités que tu as rencontrées? propose notre jeune lensman.
— Une célébrité… Oui... Le choix est grand... George Lucas... Ridley Scott... Isaac Asimov... L. Ron Hubbard... Philippe Laguerre…
— Qui ?
— Tais-toi ! Ce sera Hubbard ; je commence...
Nous étions en 1968. Je n'ai pas besoin de te rappeler, jeune Antoine, ce qui se déroula cette année-là en France au mois de Mai. La chienlit, comme l'on dit certains 1a l'époque. Même mes hebdos BD, Tintin, Spirou et Pilote, avaient disparu des kiosques pendant quinze jours, c'est te dire le chaos... Mes parents avaient sagement décidé d'accéder à mon souhait de partir en vacances à Toulon (où nous avions notre maison de famille, et moi, mes bouquinistes!) début-juin plutôt que début-juillet, comme c'était généralement le cas.
Lors donc, je partis en vacances à Toulon mi-juin. J'y retrouvai ma tante Jeannette et mon oncle André, qui avait été dans la marine, servant à bord de la Jeanne d'Arc, ouis du Clémenceau, et qui avait pris une retraite anticipée -- je crois me souvenir qu'il n'avait pas apprécié la discipline plus stricte qui régnait à bord de ce grand porte-avion. Mon oncle était un mécanicien de génie. Il avait ainsi reconstruit entièrement de ses mains trois 4CV à partir de simples carcasses. Il était connu comme le loup blanc de tous les casseurs entre La Seyne et La Ciotat -- et il y en avait beaucoup! -- et n'avait pas son pareil pour dénicher des pièces rares de moteurs de voitures ou de bateaux.
Il s'était fait ainsi une jolie réputation dans la région, et ses anciens collègues de la Marine disaient souvent aux gens qui cherchaient telle ou telle pièce: "Va voir L***, il te trouvera ça en moins de deux!" Mon oncle prenait une petite commission au passage, et tout le monde était content.
Pour ma part, j'étais ravi de l'accompagner dans ses expéditions. Il avait une Renault Floride qu'il conduisait avec beaucoup de, hum, punch et durant nos périples, de casse en casse, il me racontait ses voyages aux quatre coins du monde à bord de la Jeanne d'Arc. Moi., j'étais fasciné, et pendant qu'il fouillait les casses, j'avais toujours avec moi un Anticipation du Fleuve que j'avais emporté pour lire. De plus, il ne donnait toutes les pièces commémoratives qu'il ramassait aux Stations Shell.
En juin 1968, je venais d'avoir 14 ans, et mon oncle se livrait déjà à son petit commerce de pièces détachées depuis au moins 4 ou 5 ans. Un jour cet été-là, il me dit: "Je suis sur un beau coup pour un Anglais." Il m'expliqua ensuite quelle pièce lui avait été commandée, mais je ne me souviens pas de quoi il s'agissait, et même à l'époque, je n'y comprenais goutte, sinon que c'était pour un grand bateau -- un yacht. Je passe sur la recherche de ladite pièce, qui dura une bonne semaine et qui n'offre aucun intérêt, vu que je restais dans la Floride à lire des Richard-Bessière.
In fine, mon oncle trouva la pièce en question -- un énorme machin qui prenait toute la banquette arrière -- et me dit: "Maintenant, il faut que j'aille la livrer à Marseille. Tu veux venir?" A l'époque l'A50 n'existait pas encore. Ils venaient juste d'ouvrir un tronçon minuscule à l'est de Toulon qu'ils avaient baptisé l'A54. Toulon-Marseille, c'était donc un joli petit voyage par la Nationale.
Nous voilà parti. À Marseille, nous arrivâmes devant une grande villa blanche construite sur les hauteurs surplombant le vieux port au-dessus de la corniche Kennedy. Nous attendîmes un bon moment avant qu'on nous laisse entrer. J'aidai mon oncle à décharger le bidule, puis allai m'asseoir sur une terrasse agrémentée d'une piscine en attendant que mon oncle ait fini son affaire.
Je me souviens d'un grand anglais qui, après avoir inspecté la chose, remit à mon oncle une liasse de "Molières" -- c'est ainsi qu'on surnommait à l'époque les billets de 500 Frs. -- et qui ordonna ensuite à deux jeunes sous-fifres en uniformes blancs de transporter l'engin quelque part, et c'est tout.
Nous repartîmes ensuite vers Toulon. Mon oncle, ravi de cette affaire, me donna une "pièce", en l'occurrence un billet de 100 Frs. Comme mon bouquiniste de la Poste me faisait six Fleuve Noir Anticipation pour 10 Frs, cela me permit d'acheter 60 livres, augmentant considérablement ma collection.
Ce sont là tous mes souvenirs de l'époque.
— C'est une belle histoire, dit le jeune Antoine.
— Attends la suite.
L. Ron Hubbard en 1968
Ce n'est que beaucoup plus tard -- vers la fin des années 90 -- que je pus donner un contexte a ces souvenirs de jeunesse. Pour faire court, je dirai qu'à l'époque, mon associé Moebius faisait partie du jury de ARTISTS OF THE FUTURE, un concours organisé par Bridge Publications, et donc sponsorisé par la Scientologie. Jusqu'alors, je savais de Hubbard plus ou moins ce que tout le monde savait, ni plus, ni moins. C'est seulement à cette époque que je m'intéressai alors au personnage.
C'est en lisant diverses biographies de Hubbard que je découvris qu'en 1967, Hubbard, se sentant "grillé" en Angleterre, procéda à l'achat de trois navires, vite rebaptisés Diana, Athena et Apollo. L'Apollo servit de navire amiral, et Hubbard se bombarda du titre de "Commodore". Il croisa ensuite la Méditerranée, se retrouvant au Maroc en 1972, puis, ayant peur d'être extradité en France (où il venait d'être condamné à quatre ans de prison pour escroquerie), rentrant aux Etats-Unis à la fin de 1972.
Les lecteurs anglophiles pourront consulter avec profit une interview avec Hubbard publiée dans le journak anglais Daiuy Mail en 1968, que j'ai retrouvée en écrivant cet article.
Hubbard arriva donc à Marseille au début 1968; l'Apollo avait, semblre-t-il, besoin de réparations. C'est son capitaine, un Anglais dont je ne connais toujours pas le nom à ce jour, qui commanda indirectement la pièce nécéssaire à ces réparations à mon oncle, et à qui nous la livrâmes. Je suppose que le désordre causé par évènements de Mai joua un rôle dans cette décision. Ensuite, il semblerait qu'en dépit de l'interdiction des aurotités portuaires marseillaises, Hubbard quitta Marseille peu de temps après pour aller jeter l'ancre à Nice, mais pour un autre court séjour, avant de poursuivre son périple. Ce furent ses deux seules escales en France.
Sans mon oncle, il est très possible que Hubbard et ses navires auraient été forcés de rester à Marseille, et peut-être aurait-il été arrêté par les autorités françaises qui avaient déjà commencé à se pencher sur le dossier de la Scientologie à cette époque. Mon oncle lui a peut-être sauvé la mise, et David Miscavige devrait m'être reconnaissant -- l'ingrat !
Pour ma part, ma première pensée lors de la découverte de ce qui précède fut: "sSi j'avais su, j'aurais pris mon exemplaire de Retour à Demain (Antinipation No. 98) et je me le serais fait dédicacer. Quelle occasion manquée!"
— Finalement, c'est une histoire triste, dit le jeune Antoine.
— Oui.
(c) Décembre 2024 Jean-Marc Lofficier.
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