Comment j'ai cassé Caroline Munro

Les Belles Histoires de Tonton Jean-Marc & Tatie Randy

 
 
C'était lors du dernier déjeuner de l'Ordre Secret des Maîtres des Ordres Secrets Et-plus-encore (OSMOSE), auquel participaient mes amis Jean-Luc Raveri et Francis Saint-Mirtan. (J'ai changé leurs noms car je risquerais ma vie si je révélais leurs identités secrètes.) La conversation avait dévié sur le cinéma fantastique, et je leur racontai alors comment j'avais "cassé" la célèbre star du Golden Voyage of SinbadStar Crash et Maniac: la seule et unique Caroline Munro (dont voici le site perso).

C'était en 1987. Marvel s'apprêtait à lancer la collection d'albums de Moebius que nous avions traduits et présentés, et nous avait invités, Moebius, Randy et moi, à toute une série de conventions tenues cet été-là : la convention de l'ABA à Washington, la Comicon de San Diego, les conventions de Chicago et d'Atlanta, etc. En l'occurrence, cette histoire se déroula donc en juillet ou août 1987 lors de l'Atlanta Fantasy Fair.

Parmi les nombreux invités en provenance des mondes des comics, du cinéma et de la télévision fantastique, figurait Caroline Munro, dont on pouvait acheter des photos dédicacées au stand mis à sa disposition. Un blogger s'est amusé en mettre en ligne le programme et des photos prises lors cette convention ici mais nous ne figurons pas parmi celles-ci. Sic transit gloria mundi!

Comme dans toutes les grandes conventions américaines, les organisateurs avaient prévu un dîner le samedi soir, auquel étaient conviés tous les invités de la convention, ainsi que le personnel bénévole, ce qui permettait à ces derniers de voir et de parler aux "stars" de manière plus personnelle. 

Le sort voulut que, lors de ce dîner, je sois assis à côté de Caroline Munro, dont je connaissais bien sûr les films, mais que je n'avais jusqu'alors jamais eu l'occasion de rencontrer. À ma gauche était assise Randy; à ma droite, Caroline. Comme il s'écoule toujours un certain temps entre les plats lors de ce type de dîner, cela laisse amplement le temps pour de longues conversations. Et quand il s'agit de deux professionnels provenant de milieux différents, et qui n'ont pas la "grosse tête", cela donne souvent lieu à des conversations passionnantes.

Caroline avait une connaissance assez limitée du monde des comics (ce qui était tout à fait compréhensible) et j'eus donc l'opportunité de lui expliquer qui on était, ce qu'on faisait là, et lui parler du dessinateur Jean Giraud, dit Moebius. Curieuse quant à l'origine de ce pseudonyme, j'en vins à évoquer le mathématicien allemand et sa célèbre "bande de Moebius" d'où Jean avait tiré son pseudonyme pour ses premières BD dans Hara-Kiri.

Bande de Moebius 

 
Constatant un certain degré d'incompréhension de la part de Caroline, je proposai alors de lui faire une démonstration. Grâce à un bénévole plein de bonne volonté, j'eus vite fait d'obtenir une feuille de papier, des petits ciseaux et un rouleau de scotch. Je découpai alors une bande de papier, assez large, et, après lui avoir infligé une torsion, scotchai les deux bouts, tout en expliquant à Caroline que l'objet ainsi créé n'avait plus qu'une seule dimension -- un seul côté! (plus le bord, mais on va oublier ce détail).

Je lui remis la bande de Moebius ainst fabriquée qu'elle parcourut alors du doigt moultes fois avec une expression bien connue de tous les propriétaires de border collies: la tête légèrent penchée sur le coté, les sourcils légèrement froncés, et dans la regard la volonté désespérée de comprendre quelque chose qui restsra toujours hors de leur portée. C'était à la fois touchant et admirable.

Comme on dit aux US, je n'en étais pas à mon premier rodéo avec les bandes de Moebius ; donc au vu de l'étonnement exprimé par Caroline, qui venait sans doute pour la première fois de sa vie d'être confrontée aux mystères de la topologie, je décidai alors de frapper un grand coup en surenchérissant.

"Que croyez-vous qu'on obtiendrait si je découpai cette bande en deux ?" lui demandai-je. 

Je pense qu'elle sentit le piège, mais ne savait quoi répondre, hors l'évident "Deux bandes, je suppose ?"

"Non," répondis-je en souriant, tout en commençant à découper avec les ciseaux la bande par le milieu.

Tous ceux qui se sont livrés à ce petit jeu en connaissent le résultat : on obtient toujours une seule bande, mais deux fois plus grande, avec une double torsion.

L'étonnement de Caroline était manifeste: elle clignait des yeux, ayant la vague impression d'être victime d'un tour de passe-passe, mais sans savoir lequel.

"Et que croyez-vous qu'on obtiendrait si je découpais à nouveau cette bande en deux?" lui demandai-je encore.

Cette fois, avec l'air matois de celle à qui on ne la refait pas deux fois, elle répondit : "Üne bande encore plus grande !"

"Non," répondis-je toujours avec le sourire, entreprenant la nouvelle découpe qui, cette fois, produisit non un, mais deux bandes séparées, imbriquées l'une dans l'autre, sans discontinuité.

Il m'est souvent arrivé de voir sur YouTube des numéros proprement ahurissants de "close up magic" (magie rapprochée) et, surtout, d'observer les réactions ahuries ou émerveillées des spectateurs. (On obtient des résultats encore plus spectaculaires avec des chimpanzés.) J'eus le privilège, ce soir-là, de susciter la même réaction, mais dix fois plus plus intense, chez Caroline Munro. 

Je lui remis galamment les deux bandes imbriquées qu'elle tourna et retouna sans fin, cherchant un truc qui n'existait pas. Elle me jeta même le regard empreint de soupçon qu'on réserve en général aux escrocs, aux sorciers et aux assureurs.

Caroline continua à "jouer" avec ses deux bandes de Moebius durant le reste de la convention, toujours en quête d'une solution à cette énigme à jamais inaccessible. Je ne suis pas sûr qu'elle se soit par la suite totalement remise de cette expérience. C'était comme si elle avait rencontré un OVNI. 

Je m'en suis voulu ce week-end là d'avoir un peu cassé Caroline Munro.