Comment j'ai été mordue par Klaus Kinski

Les Belles Histoires de Tonton Jean-Marc & Tatie Randy

 Ce mois-ci, c’est Randy qui raconte :


C’était il y a bien longtemps, en 1982, à une époque où le monde était encore brillant et tout plein de promesses. Nous vivions alors à Los Angeles. Pendant que JM suait sang et eau dans les mines de sel du Crédit Lyonnais, moi je travaillais à plein temps sur notre activité journalistique, allant interviewer divers acteurs, réalisateurs, producteurs, créateurs d’effets spéciaux et autres célébrités, pour des magazines tel Starlog, Twilight Zone, American Cinematographer, Cinefex, etc. Les temps étaient plus simples, les ordinateurs moins sophistiqués, et Zoom n’existait pas ; donc tout cela se faisait en personne.


Parfois, plutôt que d’organiser des interviews individuelles, les attachés de presse des studios organisaient des interviews collectives ou, à l’occasion, des déjeuners, au cours desquels un groupe de journalistes se réunissait autour d’une table avec un ou plusieurs acteurs faisant la promotion de leur dernier film. C’était à la fois un moyen pratique d’obtenir plusieurs articles à la fois et, en même temps, une façon amusante de rencontrer des confrères.


C’est ainsi que je fus invitée à un tel déjeuner pour la promotion d’un film de SF à très petit budget, Android  produit par New World Pictures, société qui appartenait encore à l’époque à son créateur, le légendaire Roger Corman.


Le déjeuner en question avait été organisé avec la star du film, le grand acteur allemand Klaus Kinski. Ce dernier était surtout connu, du moins dans le milieu des fans de cinéma de SF et de fantastique, pour son rôle dans le remake de Nosferatu réalisé par Werner Herzog en 1979.


À l’époque, il y avait très, très peu de femmes dans la presse spécialisée SF. J’étais d’ailleurs la seule femme présente à ce déjeuner, à l’exception de l’attachée de presse qui avait organisé la chose. Kinski étant connu pour, hum, être sensible aux charmes féminins, on m’avait d’office assise à côté de lui à table, en brebis sacrificielle, en quelque sorte.


Klaus Kinski & Randy

Comme toujours, ces événements étaient très conviviaux et les conversations allaient bon train. Les journalistes de SF, qui étaient généralement juste un chouia au-dessus des clochards pour ce qui était de leurs comptes en banque, profitaient allégrement des plats et surtout des boissons servies à volonté. Celles-ci, en particulier, déliaient les langues et rendaient la rédaction des articles après coup un peu difficile, voire fantaisiste, mais du point de vue des attachés de presse, tout ce qui comptait, c’était qu’on dise du bien de leur film dans la presse, et grâce à ça, le résultat était garanti.


Pour ma part, JM et moi ne buvions pas d’alcool. Quant à Kinski, je ne pense pas que la quantité d’alcool absorbée ait eu un effet mesurable sur son comportement. Pour parler franchement, il était ce qu’à l’époque et entre femmes, nous aurions appelé un « octopus » à cause de ses mains baladeuses. En d’autres termes, il profitait de toutes les occasions pour me peloter, sans la moindre discrétion.


Aujourd’hui, ce genre de comportement serait légitimement jugé inadmissible et dénoncé ouvertement ; mais à l’époque, les femmes devaient plus ou moins supporter cela, et en souriant, je vous en prie. Nous savions bien que se plaindre ne nous mènerait nulle part, nous ferait passer pour des emm***, sinon des « coincées », et tant que nous étions dans un endroit public, on savait comment gérer ça.


Bref, entre deux séances de pelotage, nous en vînmes à parler de Nosferatu, car, pour être franc, il n’y avait pas grand-chose à dire sur Android. Le sujet passionnait beaucoup plus Kinski, qui s’anima durant cette partie de notre conversation. Il tint à m’expliquer en détail pourquoi les dents des vampires sur les canines, telles que, par exemple, dans les films de Christopher Lee, étaient ridicules et impraticables. Selon lui, des canines acérées n’étaient pas efficaces pour boire du sang car elles étaient trop espacées l’une de l’autre. Seules des dents du type de celles de Nosferatu, positionnées sur les incisives, pouvaient fonctionner correctement.


Dans un élan d’enthousiasme fort compréhensible pour un sujet aussi sérieux, il proposa de me faire faire une démonstration et, sans attendre ma réponse, il se pencha sur mon cou et renifla très longuement mon parfum, avant de, hum, frapper.


Devinant une légère révulsion de ma part (on ne pouvait rien cacher à ce grand renifleur !) il poursuivit la dite démonstration en descendant jusqu’à mon épaule… Le résultat fut un « bleu » (une ecchymose) que je conservai pendant une bonne semaine.


Notre article sur Android fut publié dans Starlog et dans L’Ecran Fantastique No. 28. Dedans, nous dîmes que le plus grand bien du film. C’était une époque différente…


P.S. de Jean-Marc : En effet. À l’époque, nous n’hésitions pas à envoyer nos meufs au taf pour ramener de beaux articles, et le mot « pimp »n’était que très rarement ou pour ainsi dire jamais prononcé. Que ce bel exemple de conscience professionnelle serve aux jeunes d’aujourd’hui qui en sont hélas souvent dépourvus.