Comment on m'a pris pour un ange

Les Belles Histoires de Tonton Jean-Marc & Tatie Randy

Cette histoire se déroule en 1979 juste après mon emménagement à Los Angeles. Je vivais à l’époque avec Randy et sa « roommate » Nancy dans un appartement près de la plage à Redondo Beach. Les week-ends, nous sortions, allions à des parties, au cinéma, etc. Je ne sais plus qui de nous trois avait eu l’idée de faire imprimer trois t-shirts : celui de Randy disait « Monday, Wednesday & Friday », celui de Nancy, « Tuesday, Thursday & Saturday », et le mien « Never on Sunday ». C’était une autre époque.


Mon ami Pierre Barbet m’avait recommandé à Forrest J. Ackerman, « Monsieur Science Fiction », qui nous avait invités chaleureusement à visiter sa fabuleuse maison/musée sur les collines d’Hollywood. Forry m’avait alors suggéré de rejoindre lAcademy of Science Fiction, Fantasy and Horror Films qui, malgré son nom prétentieux, était un groupe de fans sympathiques, parfois excentriques, qui se réunissaient les week-ends dans un cinéma sur La Cienega pour voir des films de genre, gracieusement prêtés par les studios.


L’Academy avait été fondé par le Dr. Donald A. Reed, que tout le monde appelait à sa demande, « Dr. Reed ». (J’appris plus tard que son doctorat était en bibliothéconomie.) Le Dr. Reed était un personnage érudit, plutôt amusant, qui parlait avec une voix pointue que savait tellement bien imiter Joe Dante au téléphone, qu’on ne savait plus lorsqu’on recevait un appel de lui si c’était une plaisanterie de Joe ou le véritable Dr. Reed.


Une fois par an, l’Academy décernait des trophées, les Saturn Awards, aux meilleurs films du genre. Je crois qu’ils le font toujours, bien que le Dr. Reed est décédé en 2001.


Bref, quelle ne fut pas ma surprise de rencontrer lors de l’un des premiers screenings auxquels nous assistâmes tous les trois (Love at First Bite, si mes souvenirs sont bons) le personnage quasi-mythique de Bongo Wolf.



Bongo Wolf

Bongo Wolf, c’était le héros d’un film légendaire, mi-documentaire, mi-fantastique, mi-porno, Bongo Wolf’s Revenge (1970), qui est maintenant miraculeusement visible sur YouTube .


Réalisé par Tom Baker (pas celui du Doctor Who, ni le scénariste de Michael Reeves), qui avait joué dans I, A Man (1967) d’Andy Warhol et tenu d’autres petits rôles, Bongo Wolf’s Revenge est un film expérimental bâti autour du personnage de William Donald Grollman, dit Bongo Wolf, un excentrique notoire de la scène rock ‘n roll et fantastique de L.A., toujours identifiable par son costard-cravate beige, sa coupe de cheveux en bol et, parfois, ses crocs de loup-garou fabriqués maison.


Bongo, comme son surnom l’indique, avait joué du bongo avec PJ Proby, Jim Ford et Mike Bloomfield lors de jam sessions et d’enregistrements en studio. Passionné par le fantastique (les loups-garous en particulier), il se trimballait partout avec un gros cartable qui contenait ses deux bongos, des tas de livres et des cahiers pleins de ses dessins pornographiques sur le thème des loups-garous.


Aujourd’hui, on classerait Bongo dans la neurodiversité ; mais à l’époque, et surtout en Californie, cela ne préoccupait personne et tous ses amis acceptaient ses tics et sa bizarrerie. D’abord, c’était un musicien célèbre ; ensuite, « chacun son truc. » Mon ami Don Glut avait rédigé un article pour le numéro de novembre 1969 d’Eerie mettant en scène un personnage inspiré de Bongo, à qui il a récemment dédié son excellent livre True Werewolves of History.


Bref, rencontrer le véritable, légendaire, quasi-mythique, Bongo Wolf en personne était pour moi une apothéose. Vous ne pouvez pas vous rendre compte.

Donald Reed


Peu de temps après, le Dr. Reed, qui était très ouvert au cinéma étranger, m’appela pour me dire que le samedi suivant, ils allaient projeter La Merveilleuse Visite, un très joli film de Marcel Carné datant de 1974, librement adapté d’une nouvelle de H.G. Wells. Le film était sous-titré en anglais, mais il me dit que ce serait une bonne idée si, en tant que Français, je venais le présenter. Ma foi, pourquoi pas ? me dis-je.


Le jour fatidique, la salle était pleine ; on distribua les programmes — une feuille de bristol A4 avec au verso l’affiche du film et au recto le générique — et avant que la projection ne commence, le Dr. Reed prit le micro pour présenter le présentateur (c’est à dire moi) : Jean-Marc Lofficier, Ecran Fantastique, etc., etc.


Puis ce fut mon tour de dire quelques mots sur Marcel Carné. À l’époque, wikipedia n’existait pas mais j’avais fait un bon petit travail de recherche.

La projection se déroula sans anicroches ; les lumières se rallumèrent, nous quittâmes la salle, et voilà que dans le lobby, Bongo Wolf vint me féliciter et me demander de lui dédicacer son programme.


D’abord, je crus qu’il m’avait pris pour Marcel Carné — ce qui était déjà, en soi, plutôt bizarre — mais en réalité, je découvris très vite qu’il croyait que j’étais Gilles Kohler, le magnifique acteur qui incarne l’Ange dans le film !


J’avais plus belle mine à l’époque que maintenant, mais quand même ! De là à passer pour un Ange ! De plus, Gilles était blond alors que mes cheveux sont bruns.


Pourtant, en dépit de toutes mes protestations, je ne pus le dissuader de la chose et, in fine, pour me débarrasser de lui sans le vexer, je finis par signer « Gilles Kohler » sur son programme avant de battre en retraite. Je n’en étais pas à ma première fausse dédicace, mais cela est une autre histoire.


Randy et Nancy trouvèrent la chose très drôle et j’eus droit pendant le reste du week-end à toutes sortes de plaisanteries plus ou moins douteuses sur le thème des anges.


Il y a un post-scriptum à cette histoire. Le lundi, quand j’arrivai à mon bureau au Crédit Lyonnais, la réceptionniste, Tina, fit ce qu’on appelle en anglais un double take, c’est à dire regarder à deux fois, en me voyant, ajoutant en guise d’explication : « C’est curieux ; pendant une seconde j’ai failli vous prendre pour un autre… »


Depuis, j’ai vu à la télévision le mentaliste anglais Derren Brown se livrer à des expériences d’autosuggestion collective très impressionnantes. Bongo avait-il été la victime ce jour-là de quelque glamour ? Pourquoi ? Comment ? Je ne le saurai jamais.