Randy et les cuilleres
Les Belles Histoires de Tonton Jean-Marc & Tatie Randy
Quelques mots en guise d’introduction :
Il faut savoir que Los Angeles a toujours été le théâtre de beaucoup de choses très étranges, peut-être plus que San Francisco, qui est plus flashy et dont la réputation en ce domaine est mieux établie. Los Angeles est plus discrète, mais tout aussi bizarre.
Un cinéaste qui a très bien rendu les aspects les plus étranges de cette ville est le regretté Paul Bartel, que nous rencontrâmes lors de la sortie de son EATING RAOUL en 1982. Je vous recommande en particulier son film PRIVATE PARTS, qui est quasiment un documentaire.
Bref, dans ce monde un peu crépusculaire cohabitent des individus pas forcément inoffensifs, mais toujours intéressants. Je pense, entre autres, à Bongo Wolff et au Dr. Donald Reed (dont j’ai déjà parlé), Tim Wohlgemuth, Bill Warren, Ron Borst, Eric Hoffman (récemment et tragiquement emporté dans l’incendie qui a dévoré ses collections dans son appart – triste fin) (et qui a inspiré le « Pierre-Alexis Orloff » des PANTHÉRA publiés chez Rivière Blanche), et d’autres plus connus (mais qui ne l’étaient pas encore trop à l’époque) tels John Landis et Joe Dante.
Les choses les plus étranges que nous avons côtoyées ne sont pas forcément les moins susceptibles d’être réelles, et j’entends l’ombre de Philip K. Dick (qui habitait à l’époque du tournage de BLADERUNNER, que nous couvrîmes pour L’ECRAN FANTASTIQUE, à Santa Ana, pas très loin de L.A.) me demander, à la fois ironique et sérieux, « But what IS real, Jean-Marc ? »
Cette histoire, qui se déroule dans les années 90 (je suis incapable de situer cela plus exactement) commence avec notre ami Kirk Thatcher qui avait été l’assistant de Leonard Nimoy sur STAR TREK IV et joue dans ce film le rôle du punk dans le bus dont la radio joue à plein volume. Voir la scène sur YouTube !
Une des copines de Kirk avait été l’actrice Sandy Fox, qui avait entre autres, interprété le personnage de BETTY BOOP.
Sandy s’intéressait à tout ce qui touchait à la spiritualité, le New Age, l’ésotérisme, les OVNIS, etc. Bien que nous n’étions même très actifs dans ce milieu un peu bizarre, nous avions eu l’occasion de le fréquenter par l’intermédiaire de Moebius qui, à l’époque, était lui-même très branché sur ce genre de choses.
Donc un beau jour, Sandy nous invita, Randy et moi, à une « party » dans sa maison nichée au sein des collines d’Hollywood, se contentant d’ajouter que nous trouverions « cela » très intéressant.
Notre curiosité ainsi titillée, nous acceptâmes.
Quelques jours plus tard, en soirée, nous arrivâmes donc vers 19 heures dans ladite propriété. Nous ne visitâmes pas la maison elle-même, que je ne peux donc pas décrire ; nous restâmes à l’extérieur, dans un grand jardin avec piscine, à l’abri des curieux, et une très belle vue sur la ville. Il y avait déjà un grand feu allumé et une vingtaine de personnes cassant la croûte.
Une fois tout le monde rassasié, nous fûmes rassemblés en cercle. Sandy présenta alors son invité spécial, le « maître de cérémonie ». Je ne me souviens ni de son nom (en supposant qu’il nous en ait donné un), ni de son prénom. Je crois qu’il avait un titre de « Docteur ». Pour les besoins de ce récit, je me contenterai donc de l’appeler « Docteur ».
Le Docteur ressemblait au personnage du savant un peu falot que l’on voit parfois dans les films de sf des années 50 : chemise blanche avec stylos dans la poche gauche, cravate, lunettes, cheveux grisonnants, la cinquantaine, bref, pas du tout le genre charismatique ou mémorable. Avec le recul, il aurait pu faire un bon « extra » : dans THE BIG BANG THEORY.
Le Docteur se présenta : il travaillait pour Hughes Aircraft, l’une des grandes sociétés d’aéronautique basées à LA dont une bonne partie de l’activité consiste à travailler pour le Pentagone sur des projets plus ou moins secrets.
Ceci est intéressant car, depuis, on a appris que l’Armée et la Marine Américaine se seraient déchargées de toute la recherche ultra-secrète concernant les débit d’OVNIs et la reconstruction de leurs modes de propulsions sur ces sociétés-là, ne serait-ce que pour échapper juridiquement à la supervision du Congrès. À l’époque, je ne savais rien de tout cela.
Je me souviens que le Docteur nous montra un badge d’identification avec sa photo pour prouver la véracité de son propos, tout en nous recommandant une certaine discrétion sur le sujet.
Ensuite, le Docteur nous fit tous asseoir en cercle. Il avait amené avec lui une ou deux valises (pas certain), pas du type de celles qu’on prend pour aller en vacances, mais en plastique noir avec des serrures de sécurité et des espaces encastrés à l’intérieur – le genre qu’on voit dans les films entre les mains d’agents du FBI ou de la CIA, servant à transporter des armes ou Dieu sait quoi.
Ces valises contenaient, bien rangées, de grosses cuillères à soupe en acier inoxydable, du type de celles qu’on trouve dans les cantines, ainsi que de barres métalliques cylindriques (présumablement en acier aussi ?) longues d’une trentaine de centimètres, certaines très minces, d’un diamètre de quelques millimètres, d’autres plus épaisses, d’un diamètre d’un ou deux centimètres maximum.
Le Docteur distribua ensuite les cuillères à l’assistance, puis se lança dans un exposé qui dura une bonne vingtaine de minutes. Pour résumer celui-ci, nous étions là pour jouer aux Uri Geller, c’est-à-dire plier le métal par des moyens, disons, psychiques. En réponse à diverses questions de l’assistance, le Docteur nous dit :
-- qu’il n’avait pas de position sur Uri Geller, ne l’ayant jamais rencontré, et donc qu’il ne pouvait pas se prononcer quant à la réalité de ses « pouvoirs » (à l’époque, l’opinion générale de l’homme de la rue était que Geller était un charlatan et/ou un habile magicien);
-- que le sujet de son étude sur ce phénomène précédait de beaucoup la célébrité médiatique de Geller ;
-- que l’étude était tout à fait sérieuse (on aurait pu s’en douter ; il n’avait pas l’air d’un plaisantin) et avait généré des théories et des résultats « intéressants », mais sur la nature desquels il ne pouvait en dire plus ;
-- que ce que nous allions faire ce soir-là n’était pas soumis à un « secret » quelconque, que nous pouvions en parler à notre famille et nos amis, mais que nous n’en retirerions pas grand-chose (et il avait raison).
Donc, nous commençâmes par les cuillères, chacun tenant une cuillère par le manche dans la main gauche (pour les droitiers), avec la main droite posée sur le dos de la cuillère.
Dans un premier temps, le Docteur nous fit tester la résistance des cuillères à la force musculaire. Je peux témoigner que Randy, ainsi que la plupart des femmes présentes, furent incapables de plier leurs cuillères, et que les hommes, moi compris, ne purent plier les nôtres, et qu’un tout petit peu, qu’avec beaucoup d’efforts, imprimant la trace de la cuillère dans la paume de nos mains droites. Tout cela n’est pas étonnant, vu que les cuillères étaient faites d’acier inoxydable.
Dans un deuxième temps -- avec un nouveau jeu de cuillères pour remplacer celles un peu pliées -- le Docteur nous guida dans des exercices ressemblant à de la méditation transcendantale -- je dis « ressemblant » car, de fait, j’ignore tout de la technique en question ; j’imagine seulement que c’est à ce genre d’exercice mental que cela ressemble. C’est un domaine dans lequel je suis nul, et auquel je suis totalement imperméable, contrairement à Randy qui, dans le passé, a déployé des talents qu’on pourrait qualifier de « mediumniques », ce qui est encore une autre histoire.
Au bout de l’exercice, grâce à cette « méditation », nous devions commencer à « sentir » (pénétrer ?) la structure même de la cuillère, et le Docteur nous encouragea alors à « tester » le cou de celle-ci entre l’index et le pouce de la main droite, et, au moment où nous sentirions ledit cou soudainement « mollir, » ou « fondre », d’imprimer de la main un rapide mouvement simultané de torsion et de pliage à ladite cuillère.
Pour moi, résultat nul. La cuillère demeurait impénétrable, du bon acier que je ne pouvais certainement pas plier, et encore moins tordre, avec deux doigts. Même avec toute ma force, je n’aurais d’ailleurs pas pu tordre cette cuillère sur elle-même.
Mais pour, je dirais, un quart de l’assistance — plus de femmes que d’hommes d’ailleurs — Randy comprise, les cuillères, sans le moindre effort, étaient devenues pareilles à de la pâte à modeler, tordues, pliées, les cous en spirale comme du fer forgé ; bref, une transformation physiquement impossible à réaliser à mains nues par le jeu de la pure force physique.
À ce jour je n’ai aucune explication à proposer.
La même opération fut répétée une demi-douzaine fois, sans changements notables.
Je ne veux pas donner l’impression que ce que je viens de raconter s’était déroulé en quelques minutes. Bien au contraire, il s’était écoulé plus de trois heures, et nous approchions de minuit.
Deux autres observations du Docteur méritent d’être rapportées :
-- il nous expliqua que, sous un microscope électronique, le métal d’une cuillère pliée par force brute présentait des micro-fractures témoignant du stress auquel celui-ci venait d’être soumis, alors que le métal des cuillères pliées ou tordues « psychiquement » ne présentait aucunes micro-fractures, comme si les cuillères avaient été fondues ou coulées dans cette forme.
-- dans d’autres réunions, avec des sujets plus entraînés, l’étape suivante était de plier et tordre les barres métalliques qu’il avait amenées avec lui, mais nous — notre groupe — « n’en étions pas encore là ».
Je n’ai pas été témoin de gens capables de plier ou tordre ces barres, ni n’ai vu de mes yeux de barres pliées ou tordues ce soir-là, mais la notion de gens capables de le faire, selon les propos du Docteur, me semble encore aujourd’hui ahurissante.
Vers minuit, le groupe se sépara et chacun rentra chez soi, emportant ses cuillères pliées/tordues en souvenir.
Je n’ai jamais revu le Docteur ; je ne sais pas ce qu’il est advenu de son étude. Mais je sais, au vu du récent X-59 de Lockheed, des prototypes de « batteries solides », et de l’usage de la graphène pour construire un ascenseur spatial, qu’il s’effectue bon nombre de recherches incroyables à LA, et dans la célèbre Area 51 du Nevada voisin, pour n’être plus surpris par quoi que ce soit en ce domaine.
Randy utilisa deux fois son « talent » pour tordre les cuillères. (Nous avions acheté deux douzaines de grosses cuillères chez un grossiste vendant ce genre de matériel aux cantines.) Les résultats furent à peu près les mêmes : quelques individus arrivaient à les tordre ; la plupart, non ; le tout sans explication plausible.
La première fut cet été-là à la célèbre Comicon de San Diego où nous épatâmes ainsi plusieurs visiteurs de notre stand, dont le jeune fils de notre ami le dessinateur Stan Sakai (USAGI YOJIMBO) qui conserva longtemps sa cuillère tordue comme un rare trésor.
Lors de cette convention, un magicien professionnel, que nous avions rencontré au MAGIC CASTLE, s’arrêta à notre stand, examina les cuillères, les mains de Randy, choisit lui-même la cuillère à tordre, assista à la chose de très près, et repartit en secouant la tête, interloqué peut-être pour la première fois de sa vie professionnelle, convaincu qu’il y avait toujours un truc, mais admiratif de ne pas l’avoir découvert. Et pourtant, il n’y avait pas de truc.
La seconde fois fut à Paris chez mes parents où nous avions rassemblé un petit groupe d’amis pour une soirée, dont le regretté Jacques Diament, à l’époque directeur de FLUIDE GLACIAL. Bien que les circonstances furent très différentes, le résultat fut le même. Seul Jacques parvint à tordre sa cuillère.
Et c’est tout.
J’aurais bien aimé en savoir plus sur le Docteur et ses recherches dans une société dont le nom figure toujours au pinacle des fournisseurs du Pentagone. Outre les OVNIs, sur quoi d’autre travaillent-ils dans les profondeurs de ces structures ?
Et puis, je dois admettre que je n’aime pas trop la manipulation de forces que je ne comprends pas, et dont la nature m’échappe. J’ai toujours le sentiment que ce n’est pas prudent, comme franchir une porte quand on ne sait pas ce qu’il y a de l’autre côté…
(c) Janvier 2026 Jean-MarcLofficier.
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